L'île aux corneilles
Je ne saurai jamais si cette missive aura trouvé un jour son destinataire, mais je suis dans l'obligation de noircir ces feuilles. Je griffonne ce calepin depuis des jours, des astres mêmes des lumières. J'ose vomir sur ce papier tous ces mots qui me viennent en tête, car j'eus l'ordre de vider cette âme souffrante de cette terrible calamité. Ces phrases que je dicte avec mélancolie tissent une énorme toile visqueuse assombrissant mon esprit.
Cette chair me servant de protection à un léger frisson devant de telles émotions.
Devant cette voûte si céleste, je ne sais pas si je dois sourire ou souffrir. Depuis combien d'années suis-je en ces lieux? Depuis combien de jours ai-je débuté à rédiger ce message fataliste? Ceci compte parmi plus de treize lettres que j'envoie à la mer en attendant en vain une réponse. Cette étendue glaciale les avale, les déguste et les recrache. Un océan avare de mots! Un tombeau abyssal y faisant sombrer ces hommes morts d'une cruelle souffrance, d'une profonde déception. Des pauvres malheureux demandant aux séraphins de venir les secourir.
Oh toi! Ange Gabriel. J'ai été abandonné par méprise sur cette île déserte… viens me libérer! Délivre-moi de cette solitude qui m'attache auprès de cet arbre. Au loin, je vois quelque chose de difforme. Une fillette? Une femme? La Beauté? Je rêve! Je déraisonne, je la convoite. Cette créature émanant de rayonnement s'amène vers moi. Elle me sourit et vient vers moi. Elle s'approche de moi… elle s'avance à moi! Cette fille de Neptune, si frénétique qu'elle soit, rampe jusqu'à mes pieds, comme si on me suppliait de venir avec. Je vague, divague et fabule. Je ne sens plus mes jambes, je ne sens plus mon corps. Je suis tiraillé par une centaine de fourmis montant le long de mon corps. Je regarde le ciel pour demander clémence, pour évoquer cette seule puissance afin qu'il m'envoie un signe, de grâce! Je redescends péniblement sur terre et je vois… je la vois effleurer mes lèvres bleutées.
Plus d'ancres, un seul baiser. Entre nous, tout est confus. Tout s'embrouille… En un instant mon être est aspiré, vidé de toute son énergie. Son corps si labyrinthique me traîne sur ce sol aride. Des liens incassables sortants de la mer se faufilent à mes bras et s'y lient lentement. J'essaie de me défaire de ces tiges qui enfoncent mon corps dans ces eaux végétales. Je suis faible et trop lâche. Je suis son esclave devant porter sur son dos ce boulet trop immense. Mon corps est trop lourd, mes membres sont tous devenus lourds; je ne sens plus mes bras, je ne sens plus rien comme si on avait privé mon corps de ma conscience l'enfermant dans un cachot hivernal. L'ivresse du sommeil s'incruste en moi tel un poison affaiblissant toutes mes perceptions. Frénétique, j'ai droit à un second baiser, à un second coup de cette douce lame de velours. Je me pétrifie, et me cristallise. Je me laisse porter au bord du littoral. Pour une dernière fois, je revois cette prison qui m'a abritée durant des jours, des années et des astres. Me prenant comme un enfant, elle me sourit et replonge. Je m'enfonce avec elle au plus profond de l'océan. Je vous dois amour et fidélité.
Post scriptum: Prenez mon cœur, déposez-le dans une bouteille et lancez-la à la mer de sorte qu'elle puisse l'avaler, la déguster et la recracher à une âme sensible qui osera lire la pensée d'un pauvre malheureux abandonné.
10 Nov…
Écrit par Chant de Plume
Tu es un autre moi.
Catégorie : Amour
Publié le 16/01/2013
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