Cross-over

Notre Anne-Tarzane au Royaume des Ténèbres ?
Sûrement une idée du sorcier Catulle
Qui, voulant que sa filleule fréquente le grand monde
Lui fait goûter la compagnie des Z'horrifiques.

Certes, ce vieux manoir d'au moins quatre cents ans
N'a pas tout le confort des dangers de la jungle
Malgré ses chausse-trappes et murailles pivotantes.

Mais ces gens sont aimables, leur accueil est courtois.
Anne-Tarzane, par désir de faire couleur locale,
S'habille spectrale : pantalon souple et bustier noir.

Le salon est d'une obscurité de caverne
Nuancée de bougies qui lentement se meurent.
Anne-Tarzane s'en moque : son regard d'éclaireuse
Habitué à scruter la nuit de la brousse
Rivalise avec celui de Bel-Œil le lynx.

Les grognements, bruits de chaînes et rires sardoniques
Qui jaillissent des recoins lui rappellent les sous-bois
Quand le soir, les sarigues se poursuivent en couinant.

Le comte Dracu de Basse-Fosse s'avance vers elle.
Le visage de la princesse de la jungle
Evoque en lui le souvenir d'anciennes victimes
Qui avaient cependant l'air bien plus timorées.

Le comte, fort civil, lui offre donc un siège :
« Installez-vous dans ce fauteuil, Anne-Tarzane,
Vous ne risquez rien, il a déjà dîné ! »
Force est de constater, se dit la sauvageonne,
Que ce manoir n'est pas dépourvu d'intérêt.

Pendant son séjour, elle découvre les recettes
Que Ganaëlle improvise dans sa cuisine.
Anne-Tarzane qui aime le sésame et les mangues
Apprend les vertus des ronces et chardons ardents.

Dans la bibliothèque du fantôme Stanislas,
Au milieu des archives, des atlas et des cartes,
La généalogie fait figure d'art nouveau
Pour elle qui ne sait pas qui sont ses ancêtres.
Finalement, ces Z'horrifiques sont très modernes.

Quasimodo Manontroppo lui montre sa chambre.
Il a remplacé les cailloux dans le matelas
Par des noix de coco, pour qu'elle soit à son aise.

Connaissant la nature sportive de la luronne,
Ces braves Z'horrifiques se sont arrangés
Pour qu'elle fasse de l'exercice après le dîner :

Un fantôme agressif s'échappe du mur de gauche,
Un squelette offensif sort du placard de droite.
Anne-Tarzane les affronte, les coups pleuvent de partout.

Après ce vif assaut, cette belle bagarre,
Le fantôme a des bosses sur tout le suaire
Et un œil au beurre noir, mais ça ne se voit guère.
Quand au squelette, il n'a plus tous ses os dans l'ordre.
Ils fuient, laissant Anne-Tarzane se reposer.

La duchesse Lémura l'initie au théâtre.
L'univers scénique, lui dit-elle, est fait pour vous.
Vous avez la violence d'une Lady Mc Beth
Mâtinée de joyeuse commère de Windsor.

Mais, rien d'étonnant, c'est avec Baphomette
Qu'elle s'entend le mieux ; les deux facétieuses
Passent de bons moments au bal des trépassés
En dansant avec fougue le disco de la jungle.
Pendant qu'Anne-Tarzane se trémousse en cadence,
La teenage sorcerette se métamorphose
Tour à tour en jaguar, toucan ou chimpanzé.

Quand elle quitte le manoir pour retrouver sa brousse,
Anne-Tarzane promet de revenir chez Dracu.
Ils sont désormais les meilleurs ennemis du monde.

Le comte lui dit : Je sais que des années-lumière
Ou plutôt des années-ténèbres nous séparent,
Avec vos poings aux hanches et votre air déluré,
Vous n'avez pas vraiment le style des Z'horrifiques.
Pourtant, j'ai trouvé en vous un tempérament
Qui vous rendrait bien digne d'être une fantômette.

Anne-Tarzane imagine son double fantômal
Et répond en riant : Peut-être un jour, cher comte…
Qui sait ?!... Peut-être un jour… Mais le plus tard possible !