Diotime se tourne vers moi et déclare, rouge de fureur :

- Quelque chose n'a pas passé. Quelque chose brûle et brille. Quelque chose étouffe et demande à sortir.
Il n'y a pas de demain tranquille où le trouble du monde sera rassasié, où les désirs seront éteints, où les folles deviendront sages, où les prêtres cesseront de chanter…
Il n'y a rien pour arrêter la course du monde.
La Parole de sagesse est un leurre, qui, comme un baume, soulage sans guérir, trompe l'ennui sans le dissoudre.
Il faudra pouvoir quitter l'amour des mots, si attachants, si rassurants, et affronter la question du monde, sans chercher de solutions.
Le combat – sanglant, à mort – pour le combat ; il n'est plus question de triomphe.

L'homme de demain sera.
Un oublié, un aède sans passé.
Il faut faire le deuil de son importance, de la trace, de sa postérité.
Tout sera réduit.
Il n'y a pas de prophéties, pas d'apocalypses.
Il y aura.
Sans formes d'aujourd'hui, demain peut exister.

Le monde se retourne.
Tout ce qui a été ne sera plus.
C'est là un grand espoir.
Enfin détaché de la misère du savoir, du pouvoir, de la hiérarchie ; l'homme nouveau est en marche : ne pas craindre la puissance.
C'est une icône sans représentation… Mais non sans réalité.
La pensée s'est faite technique, la technique a métamorphosé la pensée.
L'idée de l'homme s'est faite chair, la chair de l'homme se fait esprit.
Ne pas avoir peur.

L'homme est en marche.
En deux mille ans, il a appris qu'il n'y avait pas de destination.
Pas de sens à son histoire.
La route est sens.
Il reste à l'homme une tâche :
« inventer un sens au vertige et un futur à sa folie. »

Elle s'arrête, me regarde, avec dans le regard un défi : -Va, marche et ne te retourne pas !