L'homme sans nom
Il était une fois, quelque part dans un village on ne sait où et à une époque oubliée de tous, un homme dont on ne connaissait ni le nom, ni l'âge, ni l'origine. Chaque nuit, il errait dans les venelles sombres et délabrées à la recherche de la nourriture que, comme à l'habitude, on avait jeté à défaut d'avoir des méthodes de conservation efficaces et qui, (mal)heureusement, lui permettait de survivre au quotidien. De plus, sa vieille robe de moine poussiéreuse et partiellement décousue par le temps était d'un noir si profond qu'elle permettait à l'homme, disait-on, de se fondre dans la noirceur de la nuit. À l'habit mystique était également attaché un capuchon de la même couleur que celui-ci, faisant ainsi en sorte que la tête dudit individu était complètement camouflée et que, de ce fait, personne n'avait jamais vu le haut de son corps; si un jour il eut retiré ses vêtements, personne ne l'aurait reconnu. Quant au fait de savoir pourquoi il se cachait et fuyait la société, personne ne le savait. Cependant, ce qui était certain, c'est que, dans les jours qui allaient suivre sous peu, il devrait quitter sa clandestinité pour venir en aide à son village, dont la survie dépendrait bientôt uniquement de lui. En effet, la subsistance des habitants de l'endroit dépendait d'un petit puits au nord de la ville auquel on se rendait chaque matin pour prendre de quoi s'abreuver, et il fut, par un (horrible) beau jour, un de ces matins que nous n'aurions jamais voulu voir venir où ceux qu'on avait envoyé chercher l'eau ne revinrent jamais. On décida donc d'envoyer d'autres hommes, en plus grand nombre cette fois, pour découvrir ce qui était arrivé aux villageois qui étaient partis au petit matin et s'ils étaient encore en vie. Fatalité du sort, eux non plus jamais ne revinrent. Apeurés et craignant pour la survie du village, les gens décidèrent donc qu'il était temps d'envoyer les gens qui « ne comptaient pas » en éclaireur pour que ceux-ci se sacrifient pour la cause (si bien entendu sacrifice à faire il y avait). A qui pensa-t-on donc ? Mais à l'homme sans nom, bien évidemment ! Personne ne le connaissait et l'idée qu'il puisse possiblement subir d'atroces tortures n'attristait personne. Bizarrement ou non, l'homme, lui, savait déjà qu'on l'enverrait au puits et, certainement bizarrement cette fois, il croyait même fermement qu'il en reviendrait vivant. Il était donc déjà au courant de ce qu'on allait lui demander quand, le lendemain, on l'interpella dans la rue. Comme toute réponse, il accepta et demanda simplement à pouvoir faire son testament avant de partir. Cela lui fut accepté et dans le document il écrivit comme unique dernière volonté qu'il « ne souhaitait point léguer sa mémoire et sa dignité à la vérité ». Au soir, il prit donc la route du puits avec la tête haute et avec la certitude qu'il reviendrait car « son habit lui permettait de se faufiler dans la nuit », avait-il dit en riant aux éclats et en précisant que cela n'était qu'une excuse pour masquer la vraie raison pour laquelle il était certain de revenir sans blessures. La nuit passa sans que l'homme sans nom ne revienne et au petit matin, tout le monde était certain qu'il était alors mort depuis longtemps. Malgré tout, la journée passa elle aussi et, alors que le soleil descendait dans le ciel, l'homme était déjà revenu; de le voir revenir en un seul morceau et avec le sourire aux lèvres de sa tête aux cheveux manifestement blonds qu'on voyait enfin c'était assez incroyable, mais en plus de voir qu'il ramenait avec lui une charrette dans laquelle s'entassaient les sceaux d'eau fraîchement sortie du puits, alors là les gens n'en revinrent tout simplement pas : ils étaient tous abasourdis à un point tel qu'on fit une immense fête pour célébrer le retour de l'homme prodige qui dura deux jours et deux nuits, puis on fit construire une gigantesque demeure en son honneur dans laquelle on mit à sa disposition les mets les plus fins, l'or le plus pure et les femmes les plus belles de tout le continent; de son palais, il n'utilisa que la chambre à coucher, de la nourriture, il ne consomma que le pain, aux femmes, il n'accorda même pas un seul regard, et, le paroxysme de la modestie direz-vous, quand on lui demanda comment il avait réalisé sa prouesse, il répondit que « c'était simplement l'histoire de quelques hommes de joie qui avaient cherché le comble ». Fidèle à sa modestie maintenant légendaire, l'homme ne su donc qu'utiliser une petite partie de l'immense lieu qu'on avait construit pour qu'il puisse vivre luxueusement. Puis, un jour, comme par un triste enchantement, l'homme que tous avaient si longtemps méprisé disparut. Tout ce qu'il laissa fut un petit message sur la table centrale de sa riche maison. Dessus, on pouvait lire : « Sous mon capuchon se cachait mon honneur et à présent le faux m'emporte avec lui ». Et aujourd'hui, alors que notre société moderne vit dans la constante controverse, des milliers d'êtres humains haïssent secrètement, comme si c'était en souvenir de cette histoire, tous ceux qui ressemblent à l'homme sans nom…
Écrit par Louis-palmer
LA ROUE TOURNE
Catégorie : Triste
Publié le 15/12/2009
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Au début, en voyant la longueur de ton poème, j'ai pris peur, mais bizarrement mes yeux n'ont pas quitté sa lecture qui m'a captivé de bout en bout, belle histoire. Je pense que l'homme sans nom est en chacun de nous et que le puits n'existe que si on le provoque. Magnifique écrit LP. Amitiés de la nuit. |
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JB |