Depuis l'aube crue j'avançais
Sur une route sans rivages,
Et confusément j'entendais
Ramper les ombres des orages.

Le jour avait cet air absent
Qu'on voit aux rues hallucinées
Quand un brouillard luminescent
S'y couvre d'heures disloquées.

Du sommeil trouble des sous-bois
Et du cauchemar des vallées
M'arrivaient de mouvantes voix,
Gommées aussitôt qu'ébauchées

Je marchais toujours, et des mains,
Comme s'arrachant à la terre,
S'accrochaient à mes pas lointains,
M'enjoignant de ne point me taire.

"Que dois-je dire ? - N'y va pas !
- Mais où donc ? - S'il-te-plaît, arrête !
- Mais quoi donc ? - Dis-leur que là-bas
Déjà la mort, vile, nous guette !"

Je découvris avec effroi
Sous mes pieds une voie ferrée
Qui, semblant se jouer de moi,
Se hâtait, comme possédée.

Le vent luisait sur le métal
Telle une tranchante évidence,
Tandis qu'un soleil minéral
S'était figé dans le silence.

Dans un vacarme grandissant,
Les rails devenaient la nuit-même,
Avalant le long crissement
D'une gare déserte et blême.

Dix fois, cent fois je trébuchai
Sur les traverses saccadées,
Puis me relevai, puis tombai
Parmi les brumes fracassées.

"Ô voix ! Que sont donc devenus
Vos souffles du fond de la terre ?
Ô mains ! Je ne vous entends plus …
Quel démon vous a donc fait taire ?

"Tout est compté, tout est pesé,
Jusqu'aux moindres fibres du monde …
Hélas ! Tout sera partagé :
L'homme, l'atome, la seconde."

Une terreur en moi montait
Et rendait mes gestes liquides,
Le temps lui-même s'effondrait,
Torturé de remords livides.

Le porche était là, devant moi,
Qui m'aspirait, inexorable,
Gueule ouverte sur un ciel froid,
Dressé sur un vide implacable.

Capable d'abattre un géant
Et de briser tout équilibre,
Il portait le sceau du néant
Et ces mots : "Le travail rend libre".

Crier, hurler, de tout mon corps !
Hélas !... Qui aurait pu comprendre ?
Coûte que coûte, fuir alors !
Trop tard !... Je n'étais plus que cendre.

* * * * * * * * * * * *

Notes, plus que jamais nécessaires

- Le scenario de ce poème est fictif, mais l'histoire est écrite
comme le récit d'un cauchemar né d'une épouvante bien réelle.

- Ces vers ont été inspirés par le film "La liste de Schindler"
de Steven Spielberg, et notamment par la longue scène
de l'arrivée d'un train de déportés à Auschwitz.

- La onzième strophe, son premier vers surtout, fait référence
à un récit biblique (Livre de Daniel, chapitre 5, versets 1 à 28),
où il est rapporté que Baltazar, roi de Babylone et fils de
Nabuchodonosor, donna un banquet orgiaque au cours duquel les
vases pris au Temple de Jérusalem furent profanés. Or il advint
qu'une main mystérieuse traça ces mots sur le mur :
"Compté, pesé, partagé", signifiant que le règne de Baltazar
prendrait bientôt fin, que sa vie de débauche avait de quoi
le conduire en enfer et que son royaume serait donné à
ses deux ennemis principaux.
J'ai voulu donner à ces mots une portée moderne en lien avec
la Shoah, le régime nazi s'étant arrogé le droit de se comporter
en démiurge, jugeant de la valeur des vies humaines.
En outre, les conférences de Téhéran en novembre 1943 et de Yalta
en février 1945 parachevèrent cette œuvre funeste en décidant
du partage de l'Europe et du monde, les dirigeants occidentaux
et soviétiques d'alors se montrant légers et inconséquents
dans les décisions qu'ils prirent.

Écrit par Ombrefeuille
De la corolle du silence
Le parfum de l'âme s'élance.
(Ombrefeuille ... tout simplement ...)
Catégorie : Fantastique/Sf
Publié le 24/01/2022
Ce texte est la propriété de son auteur. Vous n'avez en aucun cas le droit de le reproduire ou de l'utiliser de quelque manière que ce soit sans un accord écrit préalable de son auteur.
Poème Précédent

Partager ce poème:

Twitter

Poème Suivant
Commentaires
Annonces Google
Posté le 24/01/2022 à 19:57:07
Waouh, super !
Quelle chute !
Bravo !
Iloamys
Posté le 25/01/2022 à 05:29:43
bonjour Ombrefeuille
tes mots qui découvrent avec talent cet univers concentrationnaire et ses vieux démons! m'a beaucoup touché...tu as su décrire cet enfer et ses victimes dans l'antichambre de la mort! ces tortures! ces expériences ces souffrances! je prie pour tous ces malheureux qui ne sont jamais revenus! je te félicite et te remercie d honorer leurs
mémoires ! en favori ! bonne journée ! prends bien soin de toi !
au plaisir de te lire !amitiés vives :) merci...
romantique
Posté le 25/01/2022 à 07:25:42
"Magnifique" cet affreux univers.
Bravo.
virgile
Posté le 25/01/2022 à 07:46:55
Superbe, BRAVO !
Une très belle présentation dans ta poésie.
Amitiés
Daniel
lefebvre
Posté le 25/01/2022 à 10:29:25
Bonjour Ombrefeuille ..

Bravo pour ce Texte qui happe jusqu'au dernier Mot..

Hommage et à ta Plume de savoir rendre ce Drame si beau malgré tout sous tes Vers .. Hommage à ces Ames qui y laissèrent leur Vie ..

L'Humain a tant de Contradictions en lui-même étant capable d'Amour passionnel et de Sauvagerie insupportable ..

BRAVO ma Belle !!
Amitié ***
LyS ..
Lys-Clea
Posté le 25/01/2022 à 19:11:54
Le malheur du peuple juif, qui a tant créé pour donner joies et pensées d'élévation vers la lumière spirituelle ou la science des savoirs efficaces, qui en engendrant deux religions, christianisme et islam, a façonné l'esprit humain de façon essentielle et tournée vers l'adoration de Dieu dans trois religions...mais qui de plus ne devenant jamais amertume et renoncement à la Joie et au Bonheur de créer, même imparfaitement, et alors là...Freud dans les soupireaux des âmes, Einstein dans les immensités d'espace et temps, Marx dans les motivations sociales, Proust en Freud du roman appliqué, Soutine, Chagall, Stanley Kubrick le meilleur cinéaste pour moi, tous les esprits créatifs reliés à des cœurs aimants ont apporté de quoi réjouir l'humanité.

Le mauvais démiurge s'incarne régulièrement dans des régimes politiques et des sociétés intolérantes qui jalousent l'aptitude des Juifs qui, même minoritaires, sont à la fois très actifs, respectueux des lois et coutumes, apportent leurs savoirs et leurs arts et leurs métiers à la communauté majoritaire toujours et partout de la meilleure des manières (Chagall est peintre russe et français, Modigliani est Italien puis Français à Montmartre, Paul Celan né Anschell est poète roumain et français mais écrit en allemand langue de son bourreau, les films remarquables de Polanski sont polonais, anglais, américains, français, etc...).

Les régimes politiques majoritaires gouvernent par les ressentiments qui divisent en groupes rivaux, et les peurs qui rassemblent troupeau docile d'être craintif sous l'autorité des chefs. Ça s'oppose absolument à l'inconfort qui crée, à la quête qui aime et va et ouvre tous les possibles, à l'Art, à la Science, aux savoirs qui chassent les opinions et on-dit infestant également les réseaux sociaux comme les médias bourbeux et voyeurs. La médiocrité est d'un monde où le peuple juif, que j'admire depuis mes 16 ans où mes dieux du savoir qui élève et relève en toutes circonstances étaient Marx, Freud et Einstein est souvent perçu comme étant la conscience vraie transformée vicieusement en la mauvaise conscience des médiocres à courtes vues.

Soviétiques également criminels d'autres façons, Anglo-Saxons devant négocier en Europe avec les puissance technique et politique des Soviétiques un temps dominantes sur les champs de bataille (T-34 surpassant les Panzer Tiger, communisme infestant même un Éluard, un Picasso, un Paul Langevin, un Merleau-Ponty avec Sartre...)

Les Juifs n'ont pas de ressentiments dans l'ordre historique parce qu'ils créent sans cesse leur destin dans l'esprit qui projette vers l'avenir. Ceux qui ressassent passé pour maudire ou gouverner par la fausse conscience dénonçant des coupables de mal penser, ceux là sont leurs ennemis, partout et de tous temps.
Ce poème est mon favori, qui me rappelle pourquoi j'aime et l'Histoire, et les arts, et combien je respecte les sciences, enfin j'aime ce qui est le plus fragile et créatif et joyeux d'inventer la Vie de demain : les femmes et les juifs. Jeune entre 20 et 25, on me croyait souvent juif, et j'aimais particulièrement cela ,déjà conscient que les créateurs de notre monde de demain sont souvent parmi eux qui entreprennent sans cesse d'égayer d'arts, de réjouir de questions insolubles, de divertir d'inventions facilitatrices, etc... Voici un poème qui m'a ému, merci.
jacou
Posté le 26/01/2022 à 10:12:50
Sans l'explication j'avais lu complètement autre chose...
Edelphe
Posté le 26/01/2022 à 15:24:38
Un poème glaçant, dont la lecture fige tout mouvement de l’âme, qui se trouve saisie, paralysée par l’horreur sans nom de l’épisode historique récent auquel tes vers font référence.

Je sais à quel point le film "La liste de Schindler" t’a marquée, et je le comprends. Pour ma part je l’ai vu deux fois, ce qui m’a permis de le rendre compte qu’il est difficile de mesurer la souffrance abyssale que les déportés ont vécue, et les sommets d’horreur que l’être humain peut inventer au nom d’une idéologie inique.

Ton écriture développe ici toute la puissance d’expressivité dont elle est capable, au point qu’arrivée à la troisième strophe en partant de la fin, je vois ce portail maudit en pensée (l’ayant maintes fois vu dans des documentaires au cours de mes études) et je sens mon sang se figer dans mes veines.

Mes félicitations pour ce poème qui saisit, qui bouscule, qui dérange, et qui secoue un bon coup, d’autant plus que, comme tu le sais, la déportation est un sujet qui me tient à coeur pour une raison que tu connais (les Slaves ayant aussi été l’objet de la haine nazie).
Matriochka
Posté le 27/01/2022 à 17:19:01
Grand merci à tous et à chacun pour votre lecture attentive et vos
mots élogieux à l'égard de ma plume.

Vous avez su, chacun selon sa sensibilité propre, exprimer ce qu'un
tel texte peut susciter comme prolongement.

On demeure sans voix face à l'horreur des camps nazis, et le scenario
cauchemardesque que j'ai imaginé est bien peu de chose en comparaison
de la réalité qui dépasse les mots et l'esprit humain.

Le nazisme était tout bonnement la négation fondamentale de la
dignité humaine, surtout celle des plus faibles, et il est plus que jamais
urgent de garder vivante la mémoire de cette époque pas si lointaine
et pas si étrangère à la nôtre sous certains aspects. Cette urgence
de la conscience s'impose d'autant plus qu'un nombre grandissant de
professeurs se confronte à une contestation du récit de la Shoah par
une partie des élèves, par ceux à qui des "adultes" bourrent le crâne
avec des discours fallacieux, révisionnistes ou négationnistes, au
nom de la prétendu défense d'une "cause" extra-européenne.
Ombrefeuille
Commentaires
Annonces Google
Ajouter un Commentaire
Vous devez etre identifié pour pouvoir poster un message
Veuillez vous identifier en utilisant le formulaire ci-dessous, ou en creant un compte

S'identifier
Login :
Password :
Apparaitre dans la liste des connectés :

Mot de passe perdu ?

S'identifier

Login
Password
Etre visible
Mot de passe perdu

Rechercher un počme


recherche avancée

Tribune libre

28/03 12:26Yuba
En effet ...lol....le même message est reçu en mp pour moi.
28/03 11:48CRO-MAGNON
Super ! Icetea devient un site de rencontres ! Voir les commentaires reçus ce jour sur chaque poème déposé !
26/03 10:53Alphaesia
Merci Sarahg, bonne semaine à vous...
24/03 10:24Sarahg
Bonne semaine à venir à tous et toutes !
24/03 10:23Sarahg
"Quand le destin de quelqu'un s'accomplit, il faut sourire."
21/03 06:35Lys-Clea
Et Bonsoir cher Cro ! :)
21/03 05:16Altair
Ne jamais oublier que le printemps amène les troubles sociaux, braves gens!
20/03 01:20Sarahg
Que ce Printemps soit synonyme de vie et de bonheur !
18/03 03:47Sarahg
"Etre dans le présent est la condition de la paix intérieure."
18/03 03:46Sarahg
Belle semaine à tous !
13/03 08:39Bleuet_pensif
Bonne journée à tous !... :)
09/03 05:43Lys-Clea
Merci avec Retard, cher Sylvain .. Amitié !
08/03 02:52Capucine
Merci pour cette pensée pour toutes les femmes
08/03 12:00Yuba
Merci Sylvain ...bonne fête à toutes les Dames du site.
08/03 06:17romantique
EN CETTE JOURNEE BONNE FETE A TOUTES LES FEMMES POUR TOUT CE QU ELLES APPORTENT A NOS EXISTENCES ET AU MONDE !!...:)
01/03 11:11Chrysantheme
Il leur faut valider ce chef d'oeuvre d'écriture !
01/03 11:11Chrysantheme
C'est aujourd'hui que mon oeuvre passe en commission de lecture
29/02 12:20CRO-MAGNON
Tu peux écrire tous les jours et tu te reposes à chaque 29 février
29/02 10:15Chrysantheme
Et c'est mal parti
29/02 10:14Chrysantheme
si j'écris pas aujourd'hui je loupe le coche pour 4 ans

Qui est en ligne