Ma mère, elle avait pris quinze ans en deux mois.
À la maison, y'avait carrément des tonnes de machinerie. Concentrateur d'oxygène. Pieds à perfusions. Câbles dans tous les sens.
Y'avait même une armoire spéciale pour le personnel médical, dans l'ancienne chambre de Delphie.
Eux, il débarquaient trois fois par jour, avec leur détachement habituel, comme s'ils venaient te livrer le pain, et ils allaient direct à l'armoire.
Alors, ils posaient enfin un regard sur ma mère et là, elle leur racontait tout. C'etait comme si elle avait pris note de chaque micro-évènement médical. Elle faisait un inventaire exhaustif de toutes les réactions, les sensations, de tous les changements qui se produisaient en elle.
Ce moment-là, c'était terrible. Déjà, je supportais mal la confiance qu'elle accordait à ces itinérants du soin. Elle les regardait avec des yeux brillants et leur parlait avec déférence comme s'il étaient tous des prix Nobel ou un truc du genre. Je comprenais pas comment je pouvais instinctivement détester ceux qui étaient censés la soigner.
Mais aujourd'hui je comprends mieux.
Ma mère, elle osait même pas prononcer le mot-clé devant moi. Comme quand notre chaton s'était fait tuer par le chien du voisin et qu'elle avait fait croire qu'il était parti. Et que je l'avais cherché pendant des mois, après, avec Delphie. Et qu'elle nous regardait depuis la fenêtre de la salle de bain, celle de l'étage, crapahuter dans le quartier à la recherche de Rossinante avec l'espoir de le trouver dans chaque recoin.
Tout pareil. Mais un jour le mot-clé est sorti.
La chimio.
Alors c'était ça.
Et tout m'est revenu en pleine gueule d'un coup.
Et je me suis senti comme elle, quand elle nous regardait chercher Rossinante depuis la fenêtre de l'étage.
En cinq secondes je me les suis mangés, les quinze ans.
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Rossinante est sur mon épaule, Delphie m'avait manqué et elle survit comme une reine. Sa mère veillera toujours. Bien après le déluge. Merci de ce poexte dextre et doux-amer. | |
Stopjarette |
Cette douleur, ces ans disparus m' appartiennent aussi. Merci pour ce partage si touchant. Galatea |
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galatea belga |
Une prose percutante, la fin est un vrai coup dans l'estomac Le coup de prendre quinze ans d'un coup, parce que la vie frappe fort Bravo |
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Edelphe |
Un texte fort et très bien écrit ! Les mots frappent comme certains moments dans la vie... |
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Lucyline |
j'étais déjà venue vous lire alors cette fois j'ose déposer un petit ***merci *** |
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MARIE L. |