Pendant le jour,
Je découpe des carrés de cartons à l'intérêt futile
Sur un, je dépose les rires, les cries les pleurs : tout ce qui est inutile
Sur l'autre, j'y mets la folie, l'amour du voyage sans retour, un matin étourdi
Le troisième à la paresse d'être seul, l'indécence du baiser et la luxure des péchés
Un autre est vide, ni bruit ni couleur ni haine. Ni la musique d'un rien ni le silence d'un muet
Celui-là est particulier, car infini et inéluctable, il annonce le goût de ce qu'il y a après
Le prochain a une robe arc en lune, une lumière fraiche et le chant d'un violon
Il y a celui où s'échappe un remords, une boule au ventre électrique, le bruit du pardon
Je dépose au sol ces bouts de cartons, les uns après les autres, sans ordre particulier
Il y a le rouge sang, l'indicible, celui avec des yeux ronds, et trois sont une lettre à dieu
Il y a le conquérant, le peureux, l'anarchiste et le sage
Et à minuit, à l'heure où se chevauchent les aiguilles
Ces petits bouts magiques s'assemblent et forment tout un être en carton
Il a le nez tout plat, une grande bouche et l'inconnu de l'enfant
Et devant moi il danse, comme s'y amusent les histoires
Comme un film à avance rapide, je le vois s'émouvoir
Se trainer, s'agrandir, se déformer, se transformer au rythme du noir
Tic tac, tic tac,
Créant à lui la liberté, l'humain, le désir et la gourmandise d'aimer
Je l'interprète en un souhait, en mon histoire d'un autre monde
Et quand le soleil apparait,
Il part se brûler
Ne me laissant rien, ou seulement quelques cendres.
Et moi
Je reste seul,
Et je passe la journée d'après
À redécouper des cartons
Mes petits bouts de vie

Et à minuit
À l'heure où se chevauchent les aiguilles…