Hölderlin aux doigts fins pianote l'épinette
Le menuisier Zimmer depuis trente ans l'héberge
Sa femme est occupée à préparer dînette
Et sa fille est partie du côté de l'auberge

La tour de Tübingen abrite un vieux poète
Zimmer ne le trouve pas si fou qu'on le dit
Parfois des bribes nues d'un langage très net
Franchissent les lèvres d'Hölderlin le maudit

« Le printemps en bouquets de lilas se dispose
Dans les sentiers moussus il étale ses fleurs
Pour faire sentir à l'homme, à la moindre rose
Ces parfums enfiévrés du bonheur qui affleure

La nostalgie se voile, est une horloge suisse
Car elle a ses heures pour sonner chaque glas
Nous enlevant d'ici sans que rien ne se puisse
Contrer jusqu'à l'hiver aux masques de verglas

Les saisons* paraissant comme fleuves qui glissent
Dans ces prairies semées de jolis boutons d'or
Dévalent les contrées où des prés se tapissent
Serrés près des moissons, et c'est l'une qui dore

Voici l'été parmi le grand fourbi des hommes
Amassant tant de blés assemblés près des meules
Où s'en vient traverser un feu d'automne comme
Un ciel incendié sur la toile d'un Breughel »

Hölderlin scribouille en des vers qui sont très sages
L'antique éducation du Stift dont il déborde
C'est pour lui le grand Styx le flux profond des âges
Qui se rappelle ainsi dans de vibrants exordes

Dans quatre ans il mourra en dormant dans un lit
Que Zimmer a bâti dans sa chambre naguère
Et l'Allemagne en son chœur chantera après lui
Tant son "Adorable Bleu" est "Fleur" de "l'Ouvert" **

--------

N. B. : * Les vers que Hölderlin écrivit dans sa folie dernière étaient très simples, sans traces de connaissances et de culture, hormis "En Bleu adorable" qui est du début de la folie, et ils portaient souvent sur le thème des "saisons" ou des souvenirs culturels que lui demandaient des visiteurs choisis pour un bref accès auprès de lui, ainsi Otto Weininger qui laissa un témoignage écrit ; mais je n'essaie pas ici bien sûr d'imiter la poésie inestimable d'un Hölderlin, par incapacité d'approcher même un instant ce que peut le génie qu'on dit voisin de la folie, mais il s'agit juste pour moi pour faire un hommage à me glisser tout près de lui, et qu'il me protège de ma folie à moi qui est comme pour lui l'enthousiasme trop constant, la raison profonde de mon admiration pour lui quand ses vers sont de l'allemand traduit excellemment par des Pierre Jean Jouve, Philippe Jaccottet, André du Bouchet, etc... Le « Stift » était l'université de Tübingen, dans la Souabe, en Bavière.

--------

** Le poète Novalis raconte dans son roman "Heinrich von Ofterdingen l'histoire de la quête ésotérique d'une" fleur bleue" révélatrice, qu'on a dévoyé plus tard en tisane d'un romantisme lui aussi rendu soupe tiède et trompeuse. Le poète Rainer Maria Rilke, l'auteur des "Lettres à un jeune poète, a développé dans des écrits une conception de "l'Ouvert" qui est de nous l'accueil favorable et sensitif au monde qui nous parfait, ainsi l'amour et l'amitié et d'autres choses encore...

Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Poésie
Publié le 08/05/2019
Ce texte est la propriété de son auteur. Vous n'avez en aucun cas le droit de le reproduire ou de l'utiliser de quelque manière que ce soit sans un accord écrit préalable de son auteur.
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Commentaires
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Posté le 08/05/2019 à 01:07:18
Superbe écrit !
Le poète et le menuisier sont chanceux de trouver en un si talentueux orfèvre des mots une belle manière de sortir de l'oubli par ce conte splendide dont j'ai aimé particulièrement la livraison subtile des couleurs des saisons et l'histoire d'Holderlin dans son intime émotion ...grand bravo à toi Georges !
Yuba
Posté le 08/05/2019 à 08:23:10
Superbe évocation de celui qui restera sans conteste une haute figure de la poésie romantique, de lui on peut le dire, il a habité la terre en poète!
Banniange
Posté le 08/05/2019 à 11:17:05
ce tableau de la vie est très émouvant
l'un fait des poèmes de bois et l'autre de sa folie
et la petite est à l'auberge
je me vois dans cette famille
un été parmi d'autres
magnifique !
marinette
Posté le 08/05/2019 à 15:43:15
Assia, merci à toi d'aimer lire et commenter, c'est une noble mission que tu remplis quotidiennement et que je salue ! Hölderlin et la famille Zeigler ont vécu plus de trente ans ensemble, c'étaient de vieux amis qui s'émouvaient chacun à leur façon sur les saisons qui passent et diaprent différemment les prés des années.
jacou
Posté le 08/05/2019 à 15:50:58
Banniange, je te remercie beaucoup pour ton commentaire qui réconforte mon effort d'avoir voulu saluer encore une fois Hölderlin. Il a habité la Terre en poète, comme tu dis, une terre universelle car il trouvait les Allemands limités de cœur (dans son roman "Hypérion") : c'est ta belle devise ! Le poète a souci du monde, et ses vers et ses proses souvent témoignent pour ce qu'il faut sauver.
jacou
Posté le 08/05/2019 à 15:53:42
Marinette merci ! Quelle belle remarque tu fais : chacun fait ses poèmes à sa façon, à chacun selon ses moyens et ses capacités, et le menuisier est aussi le bâtisseur des cathédrales, ces grands poèmes de pierre (Hugo dixit...?) !
jacou
Posté le 08/05/2019 à 17:38:12
Ces vers donnent envie de se plonger dans l'oeuvre d'Hölderlin. Merci de ce bel hommage, et j'aime le parallèle entre menuiserie et poésie. Une grande finesse les raccorde, le hasard fait bien les choses (H. étant hébergé par un menuisier)
grêle
Posté le 09/05/2019 à 01:47:20
Merci à toi Marine : la finesse dans les doigts, tu as tout dit en effet ! Ta finesse de poésie voit avec justesse les éléments à coordonner, c'est épatant.
jacou
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19/04 08:58Sarahg
Ok.
19/04 08:56Plume borgne
J'ai pas dit le contraire
19/04 08:52Sarahg
Non, les destins peuvent être merveilleux.
19/04 08:50Plume borgne
Tout se résume au livre ivre d'une vie de givre
19/04 08:00Sarahg
Remarque, un livre où tout est déjà accompli, ce serait pas mal.
19/04 07:45Sarahg
Ce serait un livre douloureux. Un livre a besoin d'une histoire, de vie.
19/04 06:43Plume borgne
Imagine un livre d'une page dont le titre serait livre dans lequel il n'y aurait que le mot livre en préface en histoire et en résumé
17/04 07:42Sarahg
"C'est pas marqué dans les livres que l'plus important à vivre est de vivre au jour le jour, le temps c'est de l'amour..."
17/04 07:25Plume borgne
Les décisions sont un fléaux
17/04 06:51Sarahg
Indécis et ancré à la terre du destin.
17/04 05:00Plume borgne
Essaye d'imaginer quelque chose en étant le plus indécis possible
17/04 02:47Sarahg
Imagine qu'il n'y ait jamais de tristesse indicible
16/04 08:28Plume borgne
Imagine qu'on parvienne à tuer l'ennui
15/04 10:58I-ko
imagine qu'il n'y a rien à tuer ou à mourir
15/04 05:16Plume borgne
Pourquoi ne pas imaginer l'imagination ?
14/04 04:41Bleuet_pensif
Si seulement cette imagination était réelle...
14/04 04:31I-ko
imagine tous les gens vivre leur vie en paix
12/04 07:39Ocelia
Imagine les gens vivant pour maintenant, imagine si le paradis était un mensonge. Lennon
11/04 04:10Sarahg
À méditer pour vous en ce jeudi.
11/04 04:09Sarahg
"La folie est un don de Dieu". Jim Fergus

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