Le givre a endurci les traits du quotidien
La bise fouette ton visage, enserre ton corps raidi
Alors tu hâtes le pas, scandant le même refrain
Qu'on maugrée dans les rues: il fait froid aujourd'hui !
Si ton pas se fait vif, c'est qu'il mène quelque part
Que tu as un refuge où fuir l'étreinte du vent
Dont les assauts furieux se brisent sur les remparts
Derrière lesquels, chaque soir, une douce chaleur t'attend
Le réconfort des braises pour raviver ton cœur
Le crépitement joyeux d'une bûche qui rougeoie
Ce foyer qui t'accueille d'une paisible clameur
Dont le chant te murmure qu'on est si bien chez soi
L'épaisse nuit hivernale, d'un geste enveloppe les rues
De son manteau glacial, dérobant à ta vue
Les spectres du réel, ces éternels damnés
Qui derrière ta fenêtre continuent d'exister
Je n'ai nulle part ailleurs que ces pavés sans joie
C'est moi que tu bouscules et que ton œil évite
Je suis l'ombre qui se tait quand tu te plains du froid
Incapable de traduire la douleur qui m'habite
Moi qui ne tremble plus, broyé par cet étau
Mon horizon n'est plus qu'un dédale de souffrances
Où git mon corps brisé, martelé par l'écho
Du pas des gens pressés qui scelle ma sentence
Moi qui ne lutte plus, perdu dans la torpeur
Je me suis détourné il y a bien longtemps
Des débris de ma foi, expirant dans un cœur
Fissuré par le gel, rongé par l'isolement
Moi qui ne pleure plus, mes yeux se sont éteints
Mon bagne est sans issue, ma peine sans lendemain
Condamné sans motif à errer dans le gel
En rêvant de l'enfer et ses flammes éternelles
Moi, martyr des hivers, poignardé sans répit
Par ce froid qui m'enserre, menaçant chaque seconde
D'arracher à mon corps le souffle de la vie
Pour m'enfouir à jamais dans cette nuit profonde
Je ne trouve plus la force de questionner ce monde
Qui consomme et qui jette, qui mesure et qui trie
Condamné aux trottoirs que les ordures inondent
Je n'étais pas aux normes, on a jeté ma vie.
Toi qui refuses de voir ce que montre le jour
Tu sais bien qu'aucune fleur ne nait déjà fanée
Je fus comme toi enfant, ne cherchant que l'amour
Dans un monde bien trop grand pour être mon foyer
On t'a donné un toit, on m'a jeté dehors
Par ce mur qui se dresse entre nous tu ignores
Ce que c'est qu'avoir froid et souffrir dans le noir
Lorsque la solitude a remplacé l'espoir.
http://www.poesiedesrues.com/manuscrits/effetmer/poemes/aux-oublies
Écrit par poesiedesrues
Tâche toujours de voir plus loin
Toute âme, à sa manière, est belle Et l'artiste n'est qu'un humain Qui a levé les yeux au ciel Catégorie : Poésie
Publié le 20/02/2019
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Très Baudelairien comme lecture... | |
eric |
C'est un poignant poème ! Il déchire par les mots et les sons choisis sur le thème qu'il défend : "Toi qui refuses de voir ce que montre le jour Tu sais bien qu’aucune fleur ne nait déjà fanée Je fus comme toi enfant, ne cherchant que l’amour Dans un monde bien trop grand pour être mon foyer " ..quelles émotions vives dans ce quatrain ...merci pour tout cela poétesse ! |
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Yuba |
Superbe poésie! Votre écrit se boit comme du bon vin, il noua embarque dans votre univers dès les premières lignes. J'ai voyagé tout au long de ma lecture, dans cet écho de tristesse | |
fee-de-ble |
Sublime chant rempli de tendresse humaine. Le sort est inclément qui pourchasse certains d'entre nous, les chassant de leurs légitimes foyers pour d'autres foyers indécis. Vous renouvelez ici l'un des poèmes en prose baudelairien, par le souci de sympathiser et de dire la pauvreté des sans-abri, au physique comme au moral. Bravo à vous ! | |
jacou |
Merci à vous pour votre réceptivité et vos réactions touchantes ! | |
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