Je la regarde parfois ou plutôt souvent, surtout en cachette.
Je ne veux pas la blesser.
Je ne veux en aucun cas, troubler sa liberté :
même pas une fine ridule sur une eau tranquille.
Elle ne doit pas savoir, surtout pas !
Elle est si belle.
Comme un avare, j'emporte chez moi quelques bribes d'elle :
parfois un sourire adressé à un autre
ou une image de son corps que j'essaye de conserver
le plus longtemps possible dans ma mémoire.
Elle doit me considérer comme un homme invisible
ou un épouvantail dans un champ de ronces.
Je souffre pourtant de son indifférence :
indifférence amicale ou indifférence tout court.
Elle est si belle : j'aime ses fesses et son visage
surtout quand elle relève ses cheveux.
Jusqu'à la fin des temps, elle sera indifférente.
Je me demande parfois quel peut bien être le goût de ses lèvres.
Un jour de fin du monde, elle et moi, seuls face à face…
Détournera-t-elle son regard pour éviter un dialogue
avec ce fantôme qui a survécu pendant des millénaires
pour se retrouver isolé avec elle ?
Adam et Eve à l'envers, la boucle fermée,
la rencontre du désespoir.
Après eux plus de futur…
Je le sais, elle passera dans la rue déserte, me croisera,
moi le dernier homme et attendra seule la fin de notre Terre…
Elle est si belle pourtant…

Virgile.

* Discours d'une personne qui s'entretient avec elle-même.