Amour est un vieux dieu tombé du paradis
Qui se souvient de ses glorioles de jadis,
Et dans les temples érigés à son honneur,
O chancelants temples de nos profanes cœurs,
Sa trébuchante voix, de plus en plus lointaine,
Se noie dans de Luxure les vaines fontaines !

Maître absent que je sers depuis ma tendre enfance,
Pardonne ; pardonne le résigné blasphème
D'un cœur qui, longtemps, a défendu ton emblème,
Et qui, voulant expérimenter ta puissance,
A bu mille calices de vertes douleurs,
Sans que ta paume ne daigne sécher ses pleurs !

Mille fois, j'ai rêvé de prés couverts de roses,
Et mille fois je me suis réveillé, morose,
Dans une couche couverte d'hideux chrysanthèmes,
Et mille fois mon naïf cœur, baignant dans son sang,
Mais bercé par de ta promesse le doux chant,
A ravaler contre toi mille anathèmes !

Amour, toi qui d'une flèche ajustée rendit
Les cœurs de Roméo et Juliette si hardis
Qu'ils préférèrent s'unir dans la mort immonde
Plutôt que de vivre séparés en ce monde,
Ton dard infusant jadis les douces ardeurs
Ne sait-il donc plus percer à la fois deux cœurs ?

Toi qui fis connaître à Penelope Vertu,
Et qui permis à Ulysse _O amant perdu
Par de puissants dieux les perfides sortilèges_
De vaincre les regards enchanteurs des déesses
Qui, sur son chemin, tendaient d'hypnotiques pièges,
Pour revenir près de sa fidèle maîtresse,
Dis-moi pourquoi n'ai-je pas droit à tes faveurs !
Pourquoi sur mon chemin tant de femmes sans cœurs ?

William, maître d'éloquence, et toi Grand Homère ;
Se peut il que vos récits soient vaines chimères ?
N'ya-t-il donc plus ni Penelope ni Juliette
Sur la bruyante face de cette planète ?
Vous qui avez tant prêché l'archer redoutable,
Vous restez muets, et votre silence coupable
Conforte la thèse que ce dieu est sans vie,
Ou qu'il a donné son arc à quelque furie !