"Lovecraft Country" (titre d'une série américaine, que je traduis ici en ce "Comté de Lovecraft")
Les frênes frissonnants, leurs feuilles si fragiles
Que l'automne arrache amer et jette à ras bords
Entassant des monceaux de vêtures fébriles
Ces arbres ont des bras, affreux, ce qu'ils arborent !
Pendus squelettiques décharnés par corbeaux
Jacques, tu dessinas ces jacqueries piailleuses
Aux hideux résultats, Callot, tu rendis beaux
Car plein de sens, le pieux labeur des mains calleuses
Le peuple a l'innocence en ses mains capricieuses
Que maint subtil apôtre a dirigé, naguère
Vers la révolte, en sa logique si vicieuse
Suscitant à son tour l'oppression et la guerre
Mais toi, qui dessinas, tendais ta main très ferme
Vers Villon, merveilleux poète vermillon
Tant le sang irriguant sa ballade l'enferme
Dans l'horreur, et cette beauté des vrais haillons
Vêtements de pauvres soumis aux dominants
Car sinon, ces horreurs de la guerre civile
De tous contre tous ont la vertu du néant
Pour la société, dont le calme est difficile
*
Mais non ! Ce que je vis alors était réel !
C'était la loi de Lynch (1) s'appliquant, là, encore !
Trois hommes noirs pendus, mais, dessous, cette échelle
Qu'ils faisaient, des badauds, assassins du décor !
Le rictus imbécile, aux enfants de Satan
Accordé, décorait leurs quenottes putrides
Dont la salive émise encollait bien les dents
Car les cris font traces sales aux gens avides
Et le plaisir qui est de tuer rend imbécile
Sale race humaine où je formais descendance !
J'étais le fils de l'Homme, et voulait quitter l'île
Mes pas revenaient vers cette cruelle enfance !
Le clan (2) tuait des gens pour marquer la nuance
La « couleur tombée du ciel » (3), était d'hommes noirs
Balancés par dessus nos têtes, sans défiance
Pour l'espèce, et morts d'étranglements, la Mort, comme
Cette nuance de la couleur, si notoire
Dans le Sud très profond, comptant dans l'Amérique !
J'ai foncé vers mon père avec une pétoire
Son manoir accueillant le peuple si tragique
Unis sous les arbres, perpétuant le culte
Atroce issu du fond des âges, sacrifices
Humains à d'affreuses divinités, que sculptent
Dans leurs nuits d'agonies des veilleurs, qui sont fils
Des gardiens de toujours, ceux qui tiennent les portes
Fermées par où, un jour, pourraient alors jaillir
Ces monstres informes, les Grands Anciens (4), qu'importe
Mon père à mon meurtre, où Sophocle (5) est à haïr !
J'ai consommé l'Œdipe où tout fils s'accomplit !
J'ai descendu mon père, issu de cette branche
Généalogique à l'arbre, où font d'amples plis
Les peupliers poussés dessus sa tombe blanche
Ma femme est noire, et mes enfants font de l'histoire
Ancienne leur aubaine, et l'Amérique est grande
Barack Hussein, et, puis, même, Donald, victoires
Des mots sur les actes ? Howard (6), tout s'appréhende !
Notes pour le poème, ou comment s'en servir :
(1)
: Charles Lynch formula la peine de pendaison immédiate contre les loyalistes lors de la guerre d'indépendance américaine, sera reprise pour assassiner des Noirs dans le Sud des États-Unis.
(2)
: Le Klu Klux Klan, organisation criminelle d'extrême-droite américaine.
(3)
: Titre d'une nouvelle d'Howard Philips Lovecraft, écrivain de fantastique américain.
(4)
: Noms génériques des monstres conçus par Lovecraft pour peupler ses écrits.
(5)
: Auteur grec de la pièce « Œdipe Roi », qui inspira Sigmund Freud pour définir le complexe psychanalytique d'Œdipe, avec son « meurtre » virtuel du Père accompli par le Fils pour se réaliser.
(6)
: Prénom de Lovecraft.
(J'aurais voulu ici adjoindre une illustration de Jacques Callot qui dessina dramatiquement les « horreurs de la guerre » de son époque, au 17ème siècle, mais c'est trop sombre, et je m'abstiens pour ces temps troublés que nous vivons. La « Ballade des pendus » du poète François Villon est connue de tous.)
Je dédie ce poème à Banniange, en souvenir ému de Jack.
Et ma pensée va également vers Donald Trump, rendez-vous le 2 novembre pour lui.
Écrit par jacou
L'art alchimique me tue, me transmute, me sublime. J'en renais plus fort, poétiquement. À suivre.
Catégorie : Histoire
Publié le 01/11/2020
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Merci jacou pour ce poème qui articule fantastique et société avec brio et donne envie d'écouter Strange Fruit de Billie Holiday et merci pour la dédicace mais chutt, n'éventrons pas notre secret! Quant à Ubutrump, avec leur système alambiqué de "Grands Electeurs" Tout, hélàs, reste possible, il faudra ajouter cette hideur à la tétralogie de Lovecraft! A lire : "Un parrain à la maison blanche". |
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Banniange |
Merci à toi, Banniange. J'ai voulu respecter dans ce texte l'esprit de la série diffusée sur OCS. Ses concepteurs ont savamment mixé la critique sociale de la question afro-américaine dans le Sud des États-Unis, à l'époque des années 1950 et avec une actualité se mesurant au mouvement "Black Lives Matter" là-bas, et l'univers fantasmagorique d'un Lovecraft, par ailleurs notoirement raciste. Le fantastique, tu le sais, est un décalage, un pas de côté qui permet d'appréhender notre monde d'une manière psychologiquement déstabilisante, ce qui a pour vocation de nous rassurer sur notre équilibre cérébral, quand nous fermons un livre ou terminons un film. Retour au réel, donc, dans la nuit du 2 au 3 novembre, à la Maison Blanche ! Je note ton conseil de lecture. Bon dimanche :) |
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jacou |
L'Histoire est admirablement fonte dans la poésie , à moins que ce soit l'inverse... J'apprécie particulièrement la coulure des éléments naturels dans le texte . Merci et bravo Georges pour cette richesse sur tous les plans ! |
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Yuba |
Georges mon ami, j'ai apprécié ton texte ! | |
CRO-MAGNON |
Par le biais de Lovecraft (un auteur que j'avoue mal connaître), ce poème est une plongée dans l'Amérique et de bien sombres heures de son histoire et aussi de son actualité parfois tragique, de ses lois qui furent expéditives et qui ont façonné un fonctionnement où la violence tient hélas une place bien trop importante. La qualité de ton écriture rend d'une façon vraiment intense le thème de ton poème. Mais comme tu le dis, l'Amérique est grande (car oui, il y a des aspects intéressants en ce pays) et souhaitons qu'elle retrouve sa pleine grandeur le 3 novembre prochain en mettant fin à 4 ans de chaos pour elle (je reprends là le mot de "chaos" qu'a utilisé une de mes amies américaines pour décrire l'impression que lui ont laissée ces 4 années de mandature Trump). Avec mon amitié toute vive à toi :) |
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Matriochka |
Riche et fort, ce poème est magnifique ! Bravo ! |
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virgile |
Une leçon d'histoire bien intéressante sous ces vers | |
fee-de-ble |
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