Elle ne savait pas
que ce qu'elle peignait
avait une vraie valeur
esthétique, artistique.

Non, elle ne le savait pas.

Elle avait commencé
après avoir entendu
un appel mystérieux,
comme venant d'un ange,
à créer, à capter, à transcrire
par le trait et la couleur
les représentations qui s'imposaient
dans sa tête, dans son cœur,
et qu'elle posait sur le support
comme cela lui venait dans les mains.

Travaillant dur tout le jour
aux travaux domestiques
chez des bourgeois de la ville
pour seulement quelques sous,
après avoir assumé ses tâches
elle courait la campagne
pour récolter des herbes et de la terre,
elle s'arrêtait à l'église
pour dérober la cire de quelques cierges,
elle passait chez le boucher
pour remplir une fiole de sang animal,
étranges mixtures pour ses pigments.

Puis elle s'enfermait le soir
dans son logement exigu
pour s'adonner à son art.
Négligeant de dormir,
se nourrissant chichement
d'un quignon de pain sec,
à la faible lueur d'une bougie
elle passait la nuit entière
dans son monde imaginaire.

Mais sans se rendre compte
que ses œuvres étaient dignes
d'être exposées dans les galeries parisiennes,
que des amateurs pourraient être prêts
à dépenser de fortes sommes
pour acquérir ses tableaux.

Non, elle ne le savait pas.

Et lorsqu'un marchand d'art
lui en fit prendre conscience,
qu'il le lui démontra, qu'il l'en persuada,
quand il lui donna les moyens
de sortir de sa condition modeste,
de ne vivre que par et pour sa peinture,

le choc fut trop violent pour elle,
la réalité l'écrasa,
lui fit perdre la raison
jusqu'à l'anéantissement.

§§§§§§

Notes:

Poème inspiré du film « Séraphine » de Marc Provost, qui relate la vie de l'artiste peintre Séraphine de Senlis.

Séraphine Louis, passée à la postérité sous le nom de Séraphine de Senlis, est une artiste peintre dont l'œuvre se rattache aux courants de l'art naïf et de l'art brut.
Née le 3 septembre 1864 à Arcy (Oise), elle perd sa mère le jour de son premier anniversaire, puis son père alors qu'elle atteint ses 7 ans, et est recueillie par sa sœur aînée.
Très jeune, elle est d'abord bergère, avant de devenir domestique dans un couvent à l'âge de 14 ans puis de travailler comme femme de ménage pour des familles bourgeoises de Senlis.

Vivant pauvrement, et alors qu'elle n'a aucune culture artistique ni aucune attache dans le monde de l'art, elle se met à peindre le soir chez elle, à la lueur d'une bougie, affirmant avoir entendu la voix d'un ange l'y incitant.
Son sujet principal est le monde végétal. N'ayant pas assez pour acheter du matériel, elle peint avec les doigts et fabrique elle-même ses couleurs à base de terre, de mousse, d'herbes, de cire de cierge et même de sang d'animaux, qu'elle mélange avec ce la peinture blanche, seul produit qu'elle se procure à la droguerie.

En 1912 ou 1920 (il y a incertitude sur la date), le collectionneur et marchand d'art allemand Wilhelm Uhde, en séjour à Senlis, découvre un tableau de Séraphine chez des connaissances, pour qui elle travaille comme domestique. Il décide de lui apporter son soutien, mais doit quitter précipitamment la France en août 1914, juste avant le déclenchement de la première guerre mondiale.

Il reprend contact avec Séraphine en 1927, lors d'une exposition à Senlis où deux tableaux de l'artiste figurent. Entrevoyant le potentiel de cette peinture, il apporte à Séraphine un soutien matériel qui lui permet de se consacrer à son art et d'étoffer sa création.

Grâce à une exposition en 1929, où elle gagne son nom de « Séraphine de Senlis », elle accède à une certaine notoriété et prospérité financière. Mais l'argent lui brûle les doigts et elle le dilapide.

En 1930, la grande dépression consécutive à l'effondrement de la bourse en 1929 et à la grave crise économique qui s'en suit, touche durement le marché de l'art et Wilhelm Uhde ne peut plus acheter de tableaux à Séraphine, qui s'en trouve profondément perturbée au point d'en perdre la raison.
Elle est internée en janvier 1932 à l'asile de Clermont-de-l'Oise, et s'arrête définitivement de peindre.
Ses œuvres, cependant, continuent d'être exposées par son ancien protecteur.

Dans un dénuement total et atteinte d'un cancer du sein, Séraphine meurt de faim le 11 décembre 1942 dans une annexe de l'hôpital de Villers-sous-Erquery (Oise), après avoir dû se nourrir d'herbe et de détritus. Elle est enterrée dans une fosse anonyme du carré des indigents au cimetière de Clermont-de-l'Oise.

En 2008, Marc Provost consacre un film à Séraphine de Senlis, avec pour titre le seul prénom de l'artiste. Dans le rôle principal, Yolande Moreau incarne le personnage d'une façon réellement sensible et empreinte d'émotion, en redonnant vie à sa peinture très particulière.

C'est après avoir vu ce film et en avoir été profondément touchée que j'ai écrit ce poème.

Pour en savoir plus sur Séraphine de Senlis, vous pouvez voir quelques uns de ses tableaux sur Wikiart, avec un lien interne qui vous permettra de lire l'article qui lui est consacré sur Wikipedia:

https://www.wikiart.org/fr/seraphine-de-senlis

Écrit par Matriochka
Côté ombre plume sombre, côté lumière plume claire.
Catégorie : Arts
Publié le 11/09/2021
Ce texte est la propriété de son auteur. Vous n'avez en aucun cas le droit de le reproduire ou de l'utiliser de quelque manière que ce soit sans un accord écrit préalable de son auteur.
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Commentaires
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Posté le 12/09/2021 à 05:03:18
bonjour Matriochka
c'est un touchant poéme écrit avec ton inspiration profonde! pour
retracer le parcours exceptionnel de cette artiste au parcours
fascinant...je ne la connaissais pas et j'ai appris ainsi beaucoup
d'éléments intéréssants! en favori ! bonne journée !prends bien soin
de toi ! tu vas mieux??... bon courage! bises amicales :) amitiés
romantiques :) (je prie fort pour toi !)
romantique
Posté le 12/09/2021 à 08:49:16
J'ai tout de suite été replongée dans le film à la lecture, un bel hommage à ce peintre terré dans la peinture, dont l'enfermement secret était le salut
Merci pour ce partage
Edelphe
Posté le 12/09/2021 à 10:27:44
Très touchant, une belle poésie enrichissante.
MERCI pour ce joli partage j'aime beaucoup!
Amitiés
Daniel
lefebvre
Posté le 12/09/2021 à 11:17:23
dommage qu'elle n'ai pas pu découvrir plus tôt la mine d'or que cachait ton talent d'artiste, on se demande des fois si la vie n'est pas un peu cruelle, pourtant parait-il que le hasard n'existe pas les choses se font et se passent en fonction de la cause à effet, mais ce que je dis là n'engage que moi. belle journée je te souhaite, et bonne continuation amitiés
Michel
reveecrire
Posté le 12/09/2021 à 12:43:09
Elle avait besoin de créer. Son univers était sien, particulier et donc difficile à confronter avec le monde "normal"...
La vie des artistes est souvent compliquée... Restent leurs oeuvres.
Tu lui rends un bien bel hommage !
Lucyline
Posté le 12/09/2021 à 14:54:17
C'est très joliment mis en scène, la minutie de la peinture évoquée avec la précision de tes mots poétiques et humbles spectateurs, on se croirait auprès de la scène. Merci ma poupée, un favori pour moi. Bises de septembre, mi ensoleillées, mi fraîcheur d'automne =)
Asté
Posté le 12/09/2021 à 15:10:17
Tu as su rendre un hommage vrai à cette artiste dont la vie m'a
également beaucoup touchée et interpellée, à son talent vraiment
étonnant, à ce rapport qu'elle avait à la peinture, comme tissé
d'une évidence qui la dépassait.

Le vers "comme cela lui venait dans les mains", la répétition
de cet autre "Non, elle ne savait pas", et un effet de rupture
entre les deux dernières strophes m'ont marquée.

Car Séraphine ne se "prenait pas la tête", elle peignait,
point-barre. Mais quand on la propulsa en quelque sorte dans
un monde qui n'était pas le sien, quelque chose se rompit en
elle et sa raison la lâcha (C'est le sens que je vois dans ces
deux dernières strophes comme coupant une phrase en
deux et rendant ainsi visible la survenue de la folie).
Ombrefeuille
Posté le 12/09/2021 à 18:43:39
Très beau poème !

Qui reflète à la perfection la splendeur des oeuvres de cette artiste qui peignait les couleurs qui manquaient à sa vie...

Je te félicite chère Matriochka et te remercie pour ce texte émouvant et de me faire connaitre cette histoire dont je vais chercher le film !
Yuba
Posté le 12/09/2021 à 18:47:26
Bonsoir ma Chère Matriochka,

Larmes ! J'ai revécu ce beau Film vu il y a peu ...

Tes Mots sont si expressifs .. ( je n'ai pu faire mieux )
Et Oui, Elle ne le savait pas, ce merveilleux Potentiel qui naissait sous ses Doigts ..
Don grâcieux !
Pauvre Femme peignant l'Accord floral avec du Peu, ce qu'Elle trouvait .. n'est ce pas là, une Main Pinceau des Anges ??
Favori ..
Merci de ton Partage ( nous fûmes sur le même Sentier ! )
Amitié ***

LyS ..
Lys-Clea
Posté le 13/09/2021 à 16:23:25
Un immense merci à vous toutes et tous de l'accueil que vous avez réservé à ce poème.

Sylvain, merci infiniment de l'avoir gardé en tes favoris. Aussi de t'inquiéter de moi (je vais à peu près bien, même si certains moments sont plus difficiles que d'autres) et de tes prières, soutien précieux de ta part, auquel je suis sensible.

Edelphe, oui, je crois aussi que la peinture était le salut de Séraphine de Senlis, mais aussi le fait d'aller chercher son inspiration dans la nature, car dès qu'elle fut enfermée, elle refusa de peindre.

Lefebvre, la découverte de la vie de Séraphine de Senlis fut pour moi un véritable enrichissement intérieur.

Michel, oui, la vie est cruelle parfois, et elle le fut particulièrement avec cette artiste pourtant douée d'un talent exceptionnel.

Lucyline, oui, pour les artistes, créer est un besoin vital, et leur univers mental dépasse souvent celui du commun des mortels.
Matriochka
Posté le 13/09/2021 à 16:33:41
Je continue... :-D

Asté, merci infiniment d'avoir élu ce poème comme un favori. J'aurais voulu rendre mieux la particularité des tableaux de Séraphine de Senlis, mais mettre les mots justes sur une telle oeuvre est un véritable défi.

Ombrefeuille, je sais combien ce film t'a touchée aussi, et ton comm fait véritablement honneur à mon poème, mille fois merci. Ecrire comme Séraphine peignait serait un absolu à atteindre, je pense.

Yuba, tu as trouvé les mots justes, Séraphine de Senlis peignait les couleurs qui manquaient à sa vie quotidienne, et surtout elle savait voir de la nature ce qu'elle avait de plus secret. J'espère que tu trouveras le film et qu'il te plaira!

Lysée, merci infiniment pour avoir mis ce poème au coffre. Je sais combien ce film t'a bouleversée aussi, et il t'a inspiré un poème dont tu n'as nullement à rougir! Séraphine avait ce don exceptionnel de transformer tout ce qu'elle voyait dans la nature en tableaux d'une particulière intensité, mais elle n'était pas faite pour un monde où l'art devient marchandise, car je crois que sa peinture était trop sincère, trop intérieure.
Matriochka
Posté le 15/09/2021 à 16:28:59
Ton poème hommage si juste me touche profondément !

Adorable Séraphine qui crée à partir de rien et dans son dénuement et en créant aussi en elle du temps qu'elle accorde à susciter ses rêves à rendre réels, malgré sa condition assez déplorable où le film est juste : qui dira la condition des femmes simples travaillant aux ménages, cuisines, repassages à l'époque, confrontées jeunes et trop jeunes souvent aux désirs et viols, aux renvois pour une cuillère manquante ? Les sœurs Papin à l'extrême, sinon des mariages arrangés et malheureux ne solutionnaient rien à l'éternelle condition de mineures faite aux femmes (en France jusqu'aux élections de 1945, et le divorce, et le compte en banque personnel...?

Séraphine a dû, tout comme une Camille Claudel, dans des conditions sociales différentes certes, se battre contre d'immenses préjugés ! Les Artemisia Gentileschi ou les Élisabeth Vigée-Lebrun que nous re-découvrons aujourd'hui n'étaient pas légion, que favorisaient père (Orazio) ou la cour de Louis XVI...

Séraphine s'est battu pour exister à Senlis, pas grande bourgade. Sourde aux non-dits, aux jalousies et aux jugements à l'emporte-pièce, éveillée à son monde intérieur, elle créa comme nul ne peut réellement se targuer de créer : à partir d'images mentales et d'un imaginaire qui n'était pas irrigué et nourri par l'histoire de l'art. Et, même si elle voyait des reproductions de tableaux, des toiles ici ou là, elle ne possédait pas les techniques apprises dans les écoles d'art, puis aucune connaissance pour conseiller à l'instar des Impressionnistes ou de l'école de Barbizon, où se fédèrent et surtout se soutiennent moralement les créateurs de formes insues (les Cézanne et les Michel-Ange solitaires sont rares) !

Adorable Séraphine qui m'offre ses fleurs, mes motifs picturaux préférés, devant les paysages, pour leurs couleurs intenses qui ont ma faveur, pourquoi j'aime d'abord les Fauves et Matisse, les Expressionnistes allemands et dans le Blaue Reiter Franz Marc avec ses chevaux bleus et jaunes et mauves, et l'immense Gauguin qui libéra la couleur de son support à Pont-Aven en conseillant à un jeune peintre de peindre le paysage du "Talisman" comme il voulait, comme il le VOYAIT uniquement avec ses couleurs non corrélées à la vision vraie mais à celle de l'imagination et du désir ! Delacroix et Redon et Poussin avaient pavé la voie, qui sont mes peintres préférés, si j'excepte les peintres de la lumière !

Admirable est-elle comme Wilhelm Uhde, ce collectioneur et marchand d'art, dévoué à sa passion qui l'attacha à Séraphine pour toujours, malgré la guerre et la crise économique ! Jamais vaincu lui non plus, et si bienveillant !

Séraphine abandonnée avait ses démons comme nous tous, aucun milieu n'en protège s'il en est qui aggrave. Elle a flanché quelque jour, seule, comme Camille Claudel se renfermant et se protégeant des blessures de la vie. Lutter n'est pas facile, et la folie est en puissance en chacun d'entre nous. J'en sais à ce sujet un peu, rapport à ma vie toute de nerfs chancelants et de lubies d'esprit parfois trop enthousiaste. Mais je ne suis pas le seul qui vit, et Hölderlin et Artaud et même Rimbaud m'ont appris des choses au sujet de la folie, qu'ils avaient tourné vers l'expression de leur génie, car il y a du vrai sur génie et folie si proches à se verser des élixirs de perditions mutuelles : "Hors du monde(...) trouver du nouveau" selon le souhait de Baudelaire !

La fin de ton poème, ses trois dernières strophes, souligne le drame majeur de Séraphine, qui était l'abandon quand elle a vécu seule dans son corps et dans sa tête, dans l'incapacité de dire ses rêves et désirs, sinon en les portant au jour comme une mère avec ses dessins et toiles, mais : qui voulait l'entendre et la comprendre, drames d'être au monde ("Seul au monde, j'en suis le seul absent" était la devise d'un ami défunt, frotté d'existentialisme mais aussi de Kakfa et de Robert Walser et de Thomas Bernhard qu'il me fit découvrir pour les deux derniers cités)...

Félicitations et bravo Matriochka !

Avec ma constante amitié pour toi :)
jacou
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