Allô …Maman ?
Oui, Mike, c'est moi. Mais ça n'a pas l'air d'aller, toi. Tu m'appelles d'où ?
De l'avion, Maman. Je voulais juste te dire … que tu saches … que je t'aime. Je t'aime fort, Maman.
Moi aussi je .... Allô ? Mile ? Allô, Mike ???"
Un frisson me saisit, me glace. Ça commence par le cuir chevelu, puis ça descend le long de la nuque et de la colonne vertébrale. Je reste immobile, sans réaction, comme hébétée, avec le combiné du téléphone dans la main. J'ai l'impression que si je le repose sur sa base, tout sera perdu, qu'il n'y aura plus la moindre chance.
Pourquoi Mike m'a-t-il téléphoné depuis l'avion ? Normalement c'est interdit. Mon Dieu !!! L'avion est sans doute en détresse et il va s'écraser ! Je me mets à prier de toutes mes forces. Seigneur, Dieu du Ciel, redresse cet avion, s'il-Te-plaît ! Épargne la vie de mon garçon ! Il est jeune, il a tellement à construire encore ! Ô mon Dieu ! Je T'en prie ! Je T'en supplie !
BIP …
C'est quoi, ce bruit ? Mike qui m'appelle à nouveau ? Je regarde le petit écran du combiné téléphonique : il est allumé et le mot "Error" s'est affiché. J'ai prié tellement fort que j'ai serré le combiné aussi fort entre mes doigts. J'appuie sur la touche "Raccrocher". L'écran s'éteint. Je repose le combiné sur sa base.
Je demeure assise là, du vide plein mes pensées. Mike … Il doit … il devrait … atterrir à Kennedy Airport dans quelques instants. Oui, mais pourquoi m'a-t-il appelée, juste pour me dire qu'il m'aime ? Et de cette voix sans timbre que je ne lui ai jamais connue ?...
Je réalise soudain que je tremble. De tout mon corps. Mon estomac est une boule compacte et douloureuse. Il faut que j'aille prendre un petit quelque chose à la cuisine. Quoi ? Je verrai bien.
Je me lève donc. Mes pas ont cent ans alors que j'en ai à peine soixante. Mes mains vont de meuble en meuble, y cherchant des appuis. Ma vue capte bizarrement mon univers familier : les lignes sont aigues, accusées, tranchantes, alors que les volumes sont dilués dans un brouillard dont les couleurs évoquent celles des mauvaises photos des magazines à sensation.
Dans son coin de cuisine, la radio zonzonne. Je ne l'ai pas éteinte quand le téléphone a sonné. Il y avait un air de jazz, et j'aime bien le jazz. Mais là, pas de musique. Un présentateur, la voix atone, débite des propos qu'on croirait tirés d'une série B :
L'avion, qui devait tourner, comme l'on sait, pour se mettre dans l'axe de l'aéroport, n'a pas dévié de sa trajectoire et a littéralement foncé sur l'une des Tours Jumelles, provoquant immédiatement une explosion et un incendie gigantesque.
MIKE !!!
Le prénom de mon fils, que je viens de hurler, déchire le matin.
La radio poursuit :
Oh mon Dieu !!! Un second appareil vient de frapper la deuxième tour … C'est un enfer !
Mike … Oh Mike …
Ma voix n'est plus qu'un mince filet. Et mon âme un champ de ruines.
* * * * * * * * * * * *
Note
Ce texte, également sous-titré "Nine Eleven", s'inspire du souvenir d'un témoignage entendu à la radio au cours des jours qui suivirent les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 sur le territoire des USA. Interrogée par des journalistes, une dame racontait l'appel téléphonique que son fils avait passé depuis l'un des avions peu avant l'instant fatidique de l'impact programmé par les terroristes.
Je ne sais plus si ce jeune homme était dans l'un des avions qui ont heurté les Tours Jumelles du World Trade Center à New-York ou dans celui qui s'est écrasé en Pensylvanie ou encore dans celui qui s'est écrasé près de la Maison Blanche à Washington.
J'ai donc inventé, improvisé, ce qu'il manque au récit, afin de faire ressortir l'essentiel.
Écrit par Ombrefeuille
De la corolle du silence
Le parfum de l'âme s'élance. (Ombrefeuille ... tout simplement ...) Catégorie : Histoire
Publié le 12/09/2021
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Oui, terrible de l'imaginer. C'est un tour de force, de l'écrire aussi sensiblement. Pauvres victimes, je pense à tous les témoins de la bêtise humaine tout autour du monde, les musulmans en pâtissant sévèrement aussi de ces abrutis. Merci belle Ombrefeuille, bien amicalement | |
Asté |
L'essentiel est là Ombrefeuille ... avec toute la tristesse terrifiante de cette mère si anéantie par ce qu'elle apprend sur son fils... Cet act EST barbare MERCI POUR CET HOMMAGE |
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Yuba |
bonsoir Ombrefeuille cet hommage tant mérité à tous ces morts du 11 septembre! tu l'as écrit avec une limpidité effroyable ! ce texte me touche au tréfond de mon être ! et bien sûr je prie pour ces martyrs... merci !en favori ! bonne soirée ! prends bien soin de toi ! amitiés vives :) |
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romantique |
Ton texte est tellement vivant !... vibrant que mes yeux se sont mouillés... BRAVO |
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Lucyline |
Bonsoir Ombrefeuille, On vit littéralement la Scène .. ces Scènes qui se sont déroulées.. ces Appels qui brisèrent des Familles .. 20 ans : et Encore des Traces, des Douleurs, des Souvenirs réveillés, des Peurs, des Larmes, des Visions d'Horreur, des Questions toujours des Questions .. Il est des Dates que l'on ne surmonte Jamais .. Pensées à Toutes Celles et Ceux qui sont partis, mais Pensées à Celles et Ceux qui vivent avec ce terrible Souvenir !!!!!!!! Amitié*** Lys .. |
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Lys-Clea |
Les mots me manquent pour dire combien ce récit est saisissant... La façon dont tu arrives à restituer ce que cette femme a pu ressentir en comprenant ce qui arrive à son fils est d'une puissance inouïe. Le fait que tu narres à la première personne du singulier donne une force incroyable à ce que tu évoques. Et quand on pense que des milliers de familles ont perdu des leurs dans cet attentat dont même les services secrets américains n'avaient pas osé imaginer l'ampleur! Pour avoir des ami(e)s aux USA, je sais combien, 20 ans après, la plaie est encore vive, et la mémoire collective s'en trouve profondément marquée pour longtemps, je pense. Je pense que beaucoup apprécieraient ton récit, qu'ils en seraient touchés au coeur. |
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Matriochka |
Mille mercis à tous et à chacun pour vos lectures attentive de mes mots où j'ai tenté de rendre ce qu'ont pu être ces instants pour une mère torturée par l'angoisse. Le 11 septembre 2001 a en France son "jumeau", c'est le 13 novembre 2015, et il est saisissant de marquer l'anniversaire du premier de ces deux jours funestes au moment-même où se déroule le procès des événements qui ont endeuillé le second. Hélas ... Il y a des haineux, et ils sont légion, qui ont décidé de tout faire pour détruire ce que nous sommes, pour anéantir la civilisation occidentale et son goût du vivre-ensemble. Un mot souvent galvaudé mais dont la valeur apparaît plus intensément à notre époque où on se divise et s'oppose sur tout et surtout à propos de n'importe quoi ! Il pourrait sembler si simple, pourtant, de nous réjouir de tous ces petits riens qui font le sel de la vie : Un chant d'oiseau, une balade dans les rues, un verre en terrasse, un concert, bref, de cet art de vivre sans discours moralisateurs à deux balles ! Et si la poésie, c'était aussi cela ?...:) |
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Ombrefeuille |
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