Pauvre rêve mignon

À peine né qu’il prend des gnons
Moi qui avais pourtant confié
La destinée de l’oisillon
À quelques vers et à leur fée

En place d’un coup de baguette
Qui lui aurait donné des ailes
C’est un bâton dessus la tête
Qui lui a brisé la cervelle

Permettez que, dessous vos yeux,
Je vous rejoue ce petit drame :
Cœur affolé, esprits aux cieux,
J’aimais d’amour une dadame

Elle avait de grands yeux de faon
Des ligatures des plus fines
Derrière elle un amour défunt
Une fraîcheur de capucine

Chaque rencontre me voyait
Les yeux traqués, la gorge sèche,
Comme par l’éclair foudroyé :
On est idiot dans la jeunesse

Je fis alors jouer ma plume :
Tressant mes mots en arabesques,
Je souhaitais qu’en elle ils allument
Un soudain amour romanesque

Corbeille pleine de brouillons
Tremblant d’avoir fait tant d’efforts
Le ventre empli de papillons
Je confiais à ses yeux mon sort

La belle prit mes quelques mots
Les parcourut en souriant
- Je devais paraître bien sot -
Puis leva son regard brillant

Ses yeux croisèrent les deux miens
- Mon cœur avait cesser de battre -
Et portèrent un peu plus loin
Sur le visage d’un bellâtre

Laissant tomber sur le trottoir
Tout l’encre de mon univers
Et tirant un grand rideau noir
Sur mon théâtre imaginaire

Elle vola, gracieusement,
En me bousculant de l’épaule
Comme l’aurait fait un aimant
Attiré par un autre pôle :

Pendant que j’écrivais mes mots
Un autre n’avait pas cessé
De montrer ses abdominaux
Et maintenant, il l’embrassait...

Aubépin des Ardrets